L'illustré: L’Azerbaïdjan, La route du pétrole
02 June 2012, 22:00
L'illustré
mercredi, le 2 mai 2012
ARNAUD BEDAT
LA ROUTE DU PÉTROLE
Près de 40% du pétrole de Suisse provient de la mer et des terres d’Azerbaïdjan, un pays en plein boom économique.
Le groupe Socar, qui vient de racheter une centaine de stations-services en Suisse, compte renforcer sa présence dans toute l’Europe. Le reportage de nos envoyés spéciaux dans ce nouvel eldorado du Caucase.
L’AZERBAÏDJAN, ELDORADO DU CAUCASE
Cette ancienne république soviétique est un pays en plein boom économique, grâce à son or noir qui s’exporte à coups de millions de dollars.
Qui est capable de situer avec précision l’Azerbaïdjan sur une carte de géographie? C’est une terre lointaine, au nom un peu mystérieux, qui fait aujourd’hui parler d’elle: elle reçoit dans quelques jours le Concours Eurovision de la chanson, 150 millions de téléspectateurs, et elle sera aussi cet été le nouveau sponsor du Montreux Jazz Festival avec Socar, sa compagnie d’Etat gazière et pétrolière établie depuis quatre années en Suisse. Coincée aux confins du Caucause, au bord de la mer Caspienne, à l’entrée de l’Orient, cette ancienne république du bloc soviétique, indépendante depuis 1992, est devenue en quelques années un pays en plein boom économique grâce à son or noir, qui s’exporte à coups de millions de dollars. Cela se sent même dans l’air, où flotte parfois un délicat parfum de mazout. Depuis que le naphte jaillit sur les platesformes off-shore et alimente une grande partie de l’Europe, l’argent coule à flots à Bakou, la capitale. Avec des taux de croissance qui se situent entre 25 et 30%, l’Azerbaïdjan se trouve en tête du palmarès mondial. Signe visible de la nouvelle richesse du pays: une fièvre immobilière sans précédent. Les millionnaires d’aujourd’hui investissent leur fortune en bâtissant des gratteciels, des centres commerciaux ou des hôtels, la vie culturelle renaît, l’élan sportif a repris aussi – le pays compte bien battre son record de sept médailles aux prochains Jeux olympiques de Londres. Le PIB a été triplé et la pauvreté divisée par cinq ces dix dernières années. La crise est sur toutes les lèvres en Europe? L’Azerbaïdjan garde, sans jeu de mots, une énergie à toute épreuve.
Pour mesurer l’ampleur et l’origine du phénomène, il faut prendre la route depuis Bakou, rouler une quarantaine de kilomètres vers le sud, en longeant la mer Caspienne, pour qu’apparaisse enfin, étalé sur 542 hectares, le symbole du boom pétrolier et du renouveau de l’Azerbaïdjan: on appelle cet endroit «le terminal», ou Sangachal. La fierté du pays, son poumon économique. De loin, sous un ciel bas, ça ressemble un peu à une base de la NASA avec ses petites lumières, ou à une zone militaire perdue dans les steppes. Mais quand on s’en approche, après avoir passé plusieurs barrages bien gardés, c’est un fatras de tuyaux et d’acier. Un gigantesque meccano de la démesure aussi: 1600 structures d’acier, 25 000 mètres de canalisation, 450 000 mètres de câbles, trois citernes de 800 000 barils, quatre plus petites de 150 000 barils – mais le terminal possède la capacité pour 3 millions de barils… Ici est centralisée toute l’extraction du pétrole du pays, et c’est également d’ici aussi qu’il repart. Nous sommes au point zéro de la consommation pétrolière et gazière européenne, un des pôles les plus importants de l’approvisionnement énergétique mondial. Pour visiter cet espace gigantesque où travaillent près de 500 ouvriers, et où l’utilisation de portables est interdite – une simple étincelle pourrait tout réduire en cendres – il faut bien entendu montrer patte blanche, autorisations en règle dûment estampillées. L’oléoduc, doublé d’un gazoduc à quelques centaines de mètres de là qui navigue ensuite en parallèle, s’enfonce dans la terre depuis ce Fort Knox pétrolier, file ensuite vers la mer Noire (1330 km), via Tbilissi, en Géorgie, puis vers Erzurum et Ceyhan, en Turquie (1768 km), au bord de la mer Méditerranée.
AMBITIONS MONDIALES
«Avec le pétrole azéri, nous avons des réserves pour cinquante ans, avec le gaz, deux cents ans», explique Elshad Nassirov, viceprésident du géant pétrolier Socar, à Bakou. Cette société nationale pétrolière et gazière d’Azerbaïdjan, qui emploie dans le monde 82 000 personnes, produit 50 millions de tonnes de pétrole par année. «Trente-sept pour cent du pétrole suisse aujourd’hui provient d’ailleurs d’Azerbaïdjan», se réjouit-il. Jusqu’en 2008, le pétrole brut qui arrivait dans les raffineries suisses était en majorité d’origine libyenne. Mais, en raison de la crise entre les deux pays, la Confédération helvétique a été contrainte de changer sa stratégie d’approvisionnement. L’Azerbaïdjan a donc pris le relais: «C’est clair, les mesures de rétorsion après l’arrestation du fils Kadhafi en Suisse nous ont profité», reconnaît volontiers Elshad Nassirov. Fort d’une production de 1 million de barils par jour de light sweet crude, la qualité la plus recherchée, légère et douce, Socar développe par ailleurs des ambitions fortes sur le plan mondial grâce à une montée en puissance de son département de négoce – elle se situe dans les vingt plus grandes compagnies asiatiques non cotées en Bourse. En 1901 déjà, Bakou, petite ville provinciale de 130 000 habitants, fournissait 51% de la production mondiale de pétrole brut! En 1883 fut construit le premier pipeline «ferroviaire» entre Bakou et Batumi, au bord de la mer Noire – les travaux avaient nécessité la venue de 21 000 ouvriers et 130 millions d’heures de travail. Le pays était devenu l’eldorado des barons du pétrole, les Nobel et les Rothschild, qui y firent grandir démesurément leur fortune. La villa des frères Nobel, à Bakou, construite en 1884, à l’abandon sous l’ère soviétique puis restaurée, est d’ailleurs devenue aujourd’hui un musée où l’on sent bien l’âme de ces pionniers, self made men heureux et aventuriers des steppes.
Pays aujourd’hui de nouveau très courtisé, les chefs d’Etat débarquent régulièrement en Azerbaïdjan en visite officielle, de Nicolas Sarkozy jusqu’à Doris Leuthard qui, l’année passée, vint à Bakou soutenir le projet Trans-Adriatic-Pipeline (TAP), qui devrait permettre de faire transiter dès 2017 jusqu’à 10 milliards de mètres cubes de gaz par année de l’Azerbaïdjan vers l’Italie en passant par la Turquie, la Grèce et l’Albanie. «C’est le signe de la confiance qu’on nous accorde aujourd’hui», se réjouit le ministre de l’Industrie et de l’Energie, Natig Alyev, dans son vaste bureau du centre-ville de Bakou, qui se souvient des premières années vécues par le nouvel Etat indépendant, il y a vingt ans, où il a fallu partir de rien dans un pays dévasté par des décennies d’ère soviétique. L’Azerbaïdjan est depuis reparti à la conquête de l’Europe et du reste du monde. «C’est un processus irrévocable, sourit le ministre, nous sommes entrés dans l’économie de marché, mais passer d’un régime socialiste à de nouveaux principes économiques ne fut pas chose facile. Nous avons ouvert notre marché pétrolier aux investisseurs étrangers, nous avons signé de nombreux traités avec l’Union européenne. Plus de 40 milliards ont été investis à ce jour. L’Azerbaïdjan a trouvé aujourd’hui sa place.
Nous sommes dans un monde globalisé, nous ne pouvons pas vivre seuls. L’Europe a besoin de nous et nous avons besoin de l’Europe.»
«La crise de la Suisse avec Kadhafi nous a profité»
Elshad Nassirov, de Socar
«VOUS ALLEZ ÊTRE SURPRIS»
Depuis 2008, la compagnie d’Etat possède d’ailleurs une base importante à Genève, avec Socar Trading. Le groupe vient de faire l’acquisition de 163 stationsservices d’Esso. Elles deviendront toutes, dès la fin de 2012, des stations au logo de Socar. «Vous verrez, vous allez être surpris», explique pour sa part Zaur Gahramanov, vice-président de Socar Trading, à Genève. «On va développer un nouveau logo, avec des couleurs nouvelles et une philosophie adaptée au consommateur du futur, dit-il. Car nous considérons la Suisse comme le cœur de notre expansion en Europe. Nous avons une longue expérience dans l’extraction du pétrole, mais pas dans la vente à la pompe. La société suisse est très conservatrice, c’est très difficile. C’est un défi, nous avançons étape par étape, mais c’est un marché que nous comptons développer encore à l’avenir.» Socar compte aussi être présente dans les aéroports de Genève et de Zurich.
Les avions s’envoleront donc aussi avec des réservoirs remplis de pétrole azéri vers le monde entier. On le voit, l’Azerbaïdjan d’aujourd’hui est de plus en plus proche de l’Europe.
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